Analyse de l’article 8 du projet de loi Duflot Bis


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CONTEXTE :
Le Gouvernement a remis mercredi 15 novembre 2012 une nouvelle version l’article 8 du nouveau projet de loi Duflot, qui selon notre analyse, retarde de 24 mois la mise en œuvre de la loi de réquisition, et renvoie à 30 mois environ l’échéance de mise en œuvre de la procédure, c’est à dire loin dans le temps, pour les personnes sans abris et mal logées.
Cet article menace la bonne marche de la réquisition, qui par essence est une mesure d’urgence, et doit être applicable rapidement.

La procédure de réquisition instituée par la loi de lutte contre les exclusions, du 31 juillet 1998, n’a jamais pu aboutir, ou sinon de manière marginale. En effet, l’article L 642 10 du Code de la Construction et de l’habitation (ci dessous) permet aux personnes morales visées par cette procédure, de retarder la réquisition, jusqu’à échapper à la mesure,  en présentant au Préfet un projet de travaux en vue d’une mise en location.

La dernière Ministre du logement de Jospin, Marie Noelle Lieneman (27 mars 2001 au 6 mai 2002) a tenté durant cette courte période de réquisitionner selon cette procédure.  Mais, outre les réticences préfectorales et gouvernementales,  les bailleurs ont brandi le 3° de l’article L 642-10, retardant ainsi l’échéance de plusieurs mois, et jouant la montre jusqu’aux présidentielles de mai 2002 qui ont mis fin à ce ballon d’essai, avec la victoire de la droite, dans les conditions que l’on connait.

Aujourd’hui, le Gouvernement à 4 ans et demi devant lui, une crise du logement qui s’aggrave à toute vitesse, et une hausse constante du nombre de personnes vulnérable à la rue, soumises à des conditions de vie dangereuses, d’une autre époque, grave au plan sanitaire. D’autres sont hébergées dans des conditions couteuses, inadaptées, précaires, dans des hôtels, parfois des foyers, tandis que le nombre de logements vacants n’a jamais été aussi élevé.

ANALYSE :
La nouvelle version présentée le 15 novembre à l’Assemblée, accorde 24 mois aux bailleur, pour faire des travaux et louer leur bien vacant.
24 mois auxquels il faut ajouter des délais de procédure incompressibles : 2 mois d’enquête environ par les service de l’État, 2 mois pour attendre la réponse du Maire  qui est obligatoirement consultée, et 2 à quatre mois de délai de réponse à la proposition de réquisition, ce qui fait entre 6 et 8 mois supplémentaires.  Si la loi est adoptée début janvier 2013, comme le souhaite le Gouvernement,  la plupart des réquisitions ne pourraient voire le jour avant  septembre 2015, car il faut prévoire également un délai pour la nomination des agents assermentés …

On notera donc au passage que cette version est plus restrictive que la version d’origine, puisqu’elle ôte en partie au Préfet la possibilité d’arbitrer et de juger des arguments des bailleurs, et donc d’accepter ou refuser la demande de délais pour travaux du propriétaire.

L’amendement Chassaigne permet au propriétaire de faire valoir ses projets, et au Préfet d’en apprécier le bien fondé et l’opportunité, sans être soumis à une règle stricte que ne manqueront pas d’exploiter à outrance les propriétaires de biens vacants. L’épisode de 2001 le démontre amplement : il est aisé pour une personne morale de commander un projet à un bureau d’étude, et c’est sans risque puisque aucune sanction n’est prévue en cas de manœuvre dilatoire.

Le Ministère estime qu’il faut aller très vite, et que la loi ne doit  laisser la place à aucun nouvel amendement , car cela retarderait la publication de la loi. Alors, pourquoi avoir changé la version adoptée par les deux assemblées et avoir présenté une version qui ne manquera pas, justement,  de soulever des débats ?
Le Ministère avance le risque  de censure par le Conseil Constitutionnel. Pourquoi ce risque n’a t‘il pas été évalué lors des débats précédents ?

Nous avons relu l’avis du Conseil Constitutionnel du 29 juillet sur la question. Or, rien n’indique, dans l’avis rendu par le CC (ci dessous) à propos la procédure de réquisition avec attributaire,  que l’amendement Chassaigne constituerait une atteinte au droit de propriété.
De plus, la législation et le contexte ont changé depuis 14 ans, puisque le Droit à l’hébergement jusqu’à une orientation ou un relogement et le Droit Au logement opposable ont été instaurés.

Dans toute les procédures de cette nature, le Préfet doit disposer d’une marge de manœuvre, et pouvoir arbitrer entre l’urgence et la protection des personnes, de la famille, des personnes vulnérables, et la préservation du droit de propriété.

Le propriétaire dispose d’un droit de recours efficace et rapide, dans le cas où il s’estimerait victime d’un abus de pouvoir, dans l’article L 642-19 … Rappelons également qu’il est indemnisé et que la procédure ne peut excéder 5 ans si le bien est en bon état, et 12 ans si des travaux de réhabilitation aux frais de la collectivité se sont révélés nécessaires.
Enfin, les biens vacants des riches personnes physiques ne peuvent être réquisitionnés par cette procédure (ce qui n’est pas le cas de la procédure d’attribution d’office du L 641 et suites du CCH). Exit l’immeuble de la place des Vosges, ou celui de la rue de Sèvre.
Par contre les biens de l’église pourraient l’être, mais à la condition qu’elle n’invoque pas un projet de location, ou de vente, nécessitant 24 mois de travaux …

Et  même si le CC censurait l’amendement Chassaigne, qui rappelons le a été adopté déjà par les 2 assemblées, la loi reprendrait sa forme antérieure, ce qui constitue un moindre mal … si la volonté de réquisitionner est intacte.

Application au plus vite de la loi de réquisition !

 

 

Les différentes versions de l’article L 642-10 du Code de la Construction et de l’habitation :


1 – Version initiale Loi de 98 :
Article L 642-10 du CCH (code de la construction et de l’habitation) : Dans un délai de deux mois à compter de la notification, le titulaire du droit d’usage sur les locaux peut faire connaître au représentant de l’Etat dans le département :
1° Son accord ou son opposition ;
2° Son intention de mettre fin à la vacance dans un délai de trois mois au plus à compter de la notification ;
3° Son engagement d’effectuer les travaux nécessaires pour mettre fin lui-même à la vacance ; dans ce cas, un échéancier est soumis à l’approbation du représentant de l’Etat dans le département.

2 – Version issue de l’amendement André Chassaigne (Front de Gauche – PCF), adoptée par les 2 assemblées, pendant le lecture de la loi Duflot 1;
Dans un délai de deux mois à compter de la notification, le titulaire du droit d’usage sur les locaux peut faire connaître au représentant de l’Etat dans le département :
1° Son accord ou son opposition ;
2° Son intention de mettre fin à la vacance dans un délai de trois mois au plus à compter de la notification ;
(le 3° est supprimé)

3 – Nouvelle version présentée mercredi 14 décembre au Conseil des ministres et à l’Assemblée :
Le 3° est rétabli est rédigé ainsi :
3° Son engagement d’effectuer les travaux nécessaires pour mettre fin lui-même à la vacance ; dans ce cas, un échéancier  de réalisation des travaux et de mise en location, qui ne peut excéder vingt-quatre mois, est soumis, dans un délai maximal fixé par décret en Conseil d’État. Le délai de réalisation des travaux et de mise en location court à compter de l’approbation de l’échéancier. »

Décision du Conseil Constitutionnel, n° 98-403 DC du 29 juillet 1998   sur la Loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions

Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 9 juillet 1998, par MM Jean-Louis Debré, …
Vu la Constitution ;  ….  Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les auteurs de la saisine demandent au Conseil constitutionnel de déclarer non conformes à la Constitution les articles 51, 52, 107, 119 et 152 de la loi déférée ;
– SUR LES NORMES DE CONSTITUTIONNALITE APPLICABLES AU CONTROLE DES ARTICLES 51,
52 et 107 :
2. Considérant, d’une part, qu’aux termes du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : ” La nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ” ; qu’aux termes du onzième alinéa de ce Préambule, la nation ” garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ” ;
3. Considérant qu’il ressort également du Préambule de la Constitution de 1946 que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ;
4. Considérant qu’il résulte de ces principes que la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle ;
5. Considérant, d’autre part, que l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 proclame : ” Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ” ; que l’article 17 de la même Déclaration proclame également : ” La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ” ;
6. Considérant, en outre, qu’aux termes du seizième alinéa de l’article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux ” du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ; ” ;
7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, s’il appartient au législateur de mettre en oeuvre l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent, et s’il lui est loisible, à cette fin, d’apporter au droit de propriété les limitations qu’il estime nécessaires, c’est à la condition que celles-ci n’aient pas un caractère de gravité tel que le sens et la portée de ce droit en soient dénaturés ; que doit aussi être sauvegardée la liberté individuelle ;
8. Considérant que l’égalité devant la loi est une exigence de valeur constitutionnelle ; qu’en particulier, aux termes de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : ” Pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ” ; que, cependant, le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ; que, si le principe énoncé à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’interdit pas au législateur de faire supporter à certaines catégories de personnes des charges particulières, en vue notamment d’améliorer les conditions de vie d’autres catégories de personnes, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques ;
9. Considérant, enfin, qu’aux termes du sixième alinéa de l’article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant ” l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature… ” ; qu’il appartient au législateur, lorsqu’il établit une imposition, d’en déterminer librement l’assiette, sous la réserve des principes et des règles de valeur constitutionnelle ; qu’en particulier, pour assurer le respect du principe d’égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels ;
– SUR L’ARTICLE 51 :  … (taxe sur les logements vacants)

– SUR L’ARTICLE 52 :
21. Considérant que cet article a pour objet de créer une nouvelle procédure de réquisition de locaux destinés au logement dite ” réquisition avec attributaire ” ; qu’il insère dans le titre IV du livre VI du code de la construction et de l’habitation un chapitre II comprenant les articles L. 642-1 à L. 642-28 ;
22. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 642-1 : ” Afin de garantir le droit au logement, le représentant de l’État dans le département peut réquisitionner, pour une durée d’un an au moins et de six ans au plus, des locaux sur lesquels une personne morale est titulaire d’un droit réel conférant l’usage de ces locaux et qui sont vacants depuis plus de dix-huit mois, dans les communes où existent d’importants déséquilibres entre l’offre et la demande de logement au détriment de personnes à revenus modestes et de personnes défavorisées ” ; que le même article prévoit que la réquisition donne la jouissance de ces locaux à un attributaire, à charge pour lui de les donner à bail à des personnes bénéficiaires, lesquelles, en vertu de l’article L. 642-5, doivent justifier de ressources inférieures à un plafond fixé par décret et être désignées par le représentant de l’État dans le département en raison de leurs mauvaises conditions de logement ; que l’attributaire de la réquisition qui, aux termes de l’article L. 642-3, peut être l’État, une collectivité territoriale, un organisme d’habitations à loyer modéré, une société d’économie mixte dont l’objet est de construire ou de donner à bail des logements ou ” un organisme dont l’un des objets est de contribuer au logement des personnes défavorisées et agréé à cette fin par le représentant de l’État dans le département “, se voit reconnaître par l’article L. 642-1 le droit, après avoir informé le titulaire du droit d’usage de la nature des travaux et de leur délai d’exécution, de ” réaliser des travaux, payés par lui, de mise aux normes minimales de confort et d’habitabilité ” ; qu’il est précisé que, lorsque l’importance de ces travaux le justifie, ” la durée de la réquisition peut être supérieure à six ans, dans la limite de douze ans “, étant entendu que ” le titulaire du droit d’usage peut exercer un droit de reprise après neuf ans ” ; qu’enfin, ” les locaux régulièrement affectés à un usage autre que l’habitation peuvent, à l’expiration de la réquisition, retrouver leur affectation antérieure sur simple déclaration ” ;
23. Considérant que la nouvelle procédure de réquisition est décrite aux articles L. 642-7 à L. 642-13 du code de la construction et de l’habitation ; que pouvoir est notamment donné au représentant de l’État dans le département, afin de rechercher toutes informations utiles sur les locaux vacants, de nommer des agents assermentés, habilités à ” consulter les fichiers des organismes chargés de la distribution de l’eau, du gaz, de l’électricité et du téléphone, ainsi que les fichiers tenus par les professionnels de l’immobilier ” ; que ces agents sont aussi habilités à visiter, accompagnés le cas échéant d’experts, les locaux susceptibles d’être réquisitionnés ; qu’il est également prévu que ” les services fiscaux fournissent au représentant de l’État dans le département les informations nominatives dont ils disposent sur la vacance ” ; que la mise en oeuvre de la réquisition par le représentant de l’État est subordonnée au respect d’une procédure contradictoire décrite aux articles L. 642-9 à L. 642-13 ;
24. Considérant que les articles L. 642-14 à L. 642-20 traitent des relations entre le titulaire du droit d’usage des locaux et l’attributaire de la réquisition ; qu’ils prévoient notamment que sont applicables à ces relations les dispositions des sections 1 et 2 du chapitre II du titre VIII du livre III du code civil, relatives au louage de choses, et qu'” à compter de la prise de possession des locaux, l’attributaire verse mensuellement une indemnité au titulaire du droit d’usage ” ; que cette indemnité ” est égale au loyer défini à l’article L. 642-23, déduction faite de l’amortissement du montant des travaux nécessaires et payés par lui pour satisfaire aux normes minimales de confort et d’habitabilité, et des frais de gestion des locaux “, étant entendu qu’au cas où ” le montant de l’amortissement des travaux et des frais de gestion est supérieur au loyer défini à l’article L. 642-23, aucune somme ne peut être perçue auprès du titulaire du droit d’usage “;
25. Considérant que les relations entre l’attributaire et le bénéficiaire sont décrites par les articles L. 642-21 et L. 642-27 ; qu’il est notamment prévu que le bail conclu entre l’attributaire et le bénéficiaire est régi par la loi susvisée du 6 juillet 1989 et que le loyer versé par le bénéficiaire est déterminé en fonction du prix de base au mètre carré de surface habitable, fixé par décret ;
26. Considérant enfin que l’article L. 642-28 prévoit les dispositions pénales applicables ;
27. Considérant que les députés requérants soutiennent, en premier lieu, que l’article 52 serait entaché d’incompétence négative ; qu’à cet égard, ni le champ d’application de la nouvelle procédure de réquisition, ni les voies de recours juridictionnelles ouvertes au propriétaire du bien pour contester la réquisition ne seraient décrites avec la précision nécessaire ; qu’ils soutiennent, en deuxième lieu, que l’article 52 organise un ” quasi-transfert du droit de propriété au bénéfice de l’attributaire “, puisque la durée de la réquisition peut être portée à douze ans, le titulaire du droit d’usage ne pouvant exercer son droit de reprise qu’après neuf ans de réquisition ; qu’en outre, l’indemnité versée par l’attributaire sera amputée des sommes correspondant à l’amortissement des travaux, ” ce qui fait peser sur le titulaire du droit d’usage le coût de la remise aux normes de son bien alors qu’il ne peut en disposer ” ; que les requérants soutiennent, en troisième lieu, que l’article 52 porte atteinte à la liberté individuelle ” sous ses aspects du droit à la vie privée et de l’inviolabilité du domicile “, en raison de la large consultation de fichiers confidentiels qu’il autorise, de la possibilité ouverte au préfet de se faire communiquer des informations nominatives par l’administration fiscale et parce que la procédure de visite des locaux susceptibles d’être réquisitionnés n’est pas conforme aux exigences constitutionnelles et, notamment, n’est pas placée sous le contrôle de l’autorité judiciaire ; qu’ils font enfin grief à l’article 52 de porter atteinte au principe d’égalité en raison de la coexistence de deux procédures de réquisition ayant un objectif identique et cependant ” fondées sur des critères différents ” ;
. En ce qui concerne le grief tiré de l’incompétence négative du législateur :
28. Considérant, en premier lieu, qu’en précisant que la nouvelle procédure de réquisition a vocation à s’appliquer ” dans les communes où existent d’importants déséquilibres entre l’offre et la demande de logements au détriment de personnes à revenus modestes et de personnes défavorisées “, au bénéfice de ” personnes justifiant de ressources inférieures à un plafond fixé par décret et désignées par le représentant de l’État dans le département en raison de leurs mauvaises conditions de logement “, la loi déférée a défini de façon suffisamment précise tant les zones dans lesquelles pourra être mise en oeuvre la nouvelle procédure de réquisition que les personnes susceptibles d’en bénéficier ;
29. Considérant, en second lieu, que l’article L. 642-19 donne compétence au juge judiciaire pour connaître des relations entre le titulaire du droit d’usage des locaux réquisitionnés et l’attributaire de la réquisition ; qu’aux termes de l’article L. 642-16 : ” Le juge judiciaire fixe, le cas échéant, l’indemnisation par l’État du préjudice matériel, direct et certain, causé par la mise en oeuvre de la réquisition ” ; que, par ailleurs, l’arrêté de réquisition pourra être déféré à la juridiction administrative, compétente pour en connaître en vertu du principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel, à l’exception des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire, relève de la juridiction administrative l’annulation ou la réformation des décisions prises, dans l’exercice de prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle ;
30. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que manque en fait le moyen tiré de ce que le législateur aurait méconnu sa propre compétence tant dans la définition du champ d’application de la nouvelle procédure de réquisition que dans celle des voies de recours juridictionnelles ouvertes au titulaire du droit d’usage pour la contester ;
. En ce qui concerne les griefs tirés de la violation du droit de propriété et du principe d’égalité :
31. Considérant que, si la mise en oeuvre de la procédure de réquisition prévue par la disposition contestée n’emporte pas, par elle-même, contrairement à ce que soutiennent les requérants, privation du droit de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, elle limite néanmoins, pour une période de temps déterminée, le droit d’usage des locaux réquisitionnés ; qu’une telle limitation, alors même qu’elle répond à un objectif de valeur constitutionnelle, ne saurait revêtir un caractère de gravité tel qu’elle dénature le sens et la portée du droit de propriété ;
32. Considérant, en premier lieu, qu’en ce qui concerne le droit de propriété, la disposition contestée confère au titulaire du droit d’usage des garanties de procédure et de fond ; que les garanties de procédure sont énumérées aux articles L. 642-9 à L. 642-13 ; qu’en vertu de l’article L. 642-9, le représentant de l’État dans le département notifie au titulaire du droit d’usage des locaux son intention de procéder à la réquisition, ainsi que les motifs et la durée de la réquisition envisagée ; que, selon l’article L. 642-10, le titulaire du droit d’usage dispose de deux mois, à compter de cette notification, pour faire connaître son opposition ; que faculté lui est laissée de mettre fin par ses propres moyens à la vacance, le cas échéant en procédant lui-même aux travaux nécessaires ; que, dans l’hypothèse inverse, ainsi que le prévoit l’article L. 642-11, le représentant de l’État, s’il n’abandonne pas la procédure, notifie au titulaire du droit d’usage un arrêté de réquisition motivé désignant l’attributaire et indiquant la durée de la réquisition, laquelle ne peut excéder celle mentionnée dans la notification visée à l’article L. 642-9 ; que, comme il a été dit, cet arrêté de réquisition peut être déféré au juge de l’excès de pouvoir ; que, s’agissant des garanties de fond, l’article L. 642-14 renvoyant aux dispositions précitées du code civil relatives au louage de choses, l’attributaire sera tenu à l’égard du titulaire du droit d’usage, en application de l’article 1735 du code civil, des dégradations et pertes arrivées par le fait du bénéficiaire ; qu’un droit de reprise pourra être exercé dans les conditions prévues aux articles L. 642-6 et L. 642-18 ; que la réquisition ne fait pas obstacle à l’aliénation des locaux requis ; qu’enfin, les locaux régulièrement affectés à un usage autre que l’habitation peuvent, en vertu du dernier alinéa de l’article L. 642-1, à l’expiration de la réquisition, retrouver leur affectation antérieure sur simple déclaration ; que, toutefois, les dispositions de l’article L. 642-27 ne sauraient être comprises comme conférant au bénéficiaire un titre d’occupation à l’expiration de la durée de la réquisition, au cas où le représentant de l’État dans le département ne lui aurait pas proposé un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités ; que, sous cette réserve, les dispositions de l’article 52 ne portent pas au droit de propriété une atteinte contraire à la Constitution ;
33. Considérant, en second lieu, que le respect du principe d’égalité devant les charges publiques ne saurait permettre d’exclure du droit à réparation un élément quelconque du préjudice indemnisable résultant de la mise en oeuvre de la procédure de réquisition ; qu’il suit de là qu’au cas où l’indemnité prévue à l’article L. 642-15 ne suffirait pas à couvrir l’intégralité du préjudice subi par le titulaire du droit d’usage, l’article L. 642-16 doit être interprété comme permettant au juge judiciaire de lui allouer une indemnité complémentaire ; qu’en particulier, pourra être pris en compte le coût des travaux, indirectement assumé par le titulaire du droit d’usage, qui n’auront pas contribué à la valorisation de son bien lorsqu’il en retrouvera l’usage ; qu’il pourra en être de même des frais de remise des lieux dans leur état initial lorsque l’intéressé souhaitera leur restituer leur affectation première ; que, sous cette réserve, l’article 52 ne méconnaît pas le principe d’égalité devant les charges publiques ;
34. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que, sous ces réserves d’interprétation, l’article 52 de la loi ne méconnaît ni le droit de propriété, ni le principe d’égalité devant les charges publiques ;
35. Considérant, par ailleurs, qu’est inopérant au regard du principe d’égalité le moyen tiré de ce qu’existe déjà une procédure de réquisition de locaux trouvant son origine dans l’ordonnance susvisée du 11 octobre 1945 et codifiée aux articles L. 641-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation ;
. En ce qui concerne le grief tiré des atteintes portées au droit à la vie privée et à l’inviolabilité du domicile :
36. Considérant, en premier lieu, qu’il résulte tant des termes de la loi que de son objet que la consultation des fichiers des organismes chargés de la distribution de l’eau, du gaz, de l’électricité et du téléphone, ainsi que des fichiers tenus par les professionnels de l’immobilier, est limitée aux renseignements nécessaires à la recherche des locaux vacants depuis plus de dix-huit mois et à l’identification du titulaire du droit d’usage sur ces locaux ; que les agents habilités à consulter ces fichiers seront assermentés et astreints aux règles concernant le secret professionnel ; que, compte tenu de ces garanties, la disposition critiquée ne met en cause aucun principe ni aucune règle de valeur constitutionnelle ; qu’il en va de même de la communication au représentant de l’État par les agents des services fiscaux, lesquels sont également astreints au secret professionnel, des informations nominatives dont ils disposent sur la vacance ;
37. Considérant, en second lieu, qu’à l’effet de mettre en oeuvre l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent, le législateur a pu autoriser les mêmes agents assermentés à visiter les locaux susceptibles d’être réquisitionnés ; que le titulaire du droit d’usage sur ces locaux, qui sont, par hypothèse, vacants, ne peut être qu’une personne morale, le législateur ayant en outre expressément exclu du champ d’application du texte les locaux détenus par des sociétés civiles à caractère familial ; qu’au cas où le titulaire du droit d’usage s’opposerait à une telle visite, l’autorisation du juge judiciaire est expressément exigée par la disposition contestée ; que, dans ces conditions, cette disposition ne porte pas atteinte à l’inviolabilité du domicile ni à aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle ;