#Loi ELAN et bail mobilité, la révolution conservatrice du secteur locatif privé


Loi ELAN et bail mobilité, une révolution conservatrice dans le secteur locatif privé

La Loi ELAN a été promulguée vendredi 23 novembre. Forte de 234 articles, la loi a été adoptée dans la précipitation en une seule lecture au cours de l’été 2018 et à l’issue d’une Commission mixte paritaire (négociation entre représentants des deux chambres) d’une après-midi en septembre qui a modifié plus du tiers des articles …  

Les mobilisations n’ont pas permis de faire sauter les dispositions les plus dangereuses de ce projet de loi qui va pourtant impacter durement la vie de plusieurs millions de locataires et bien au delà.

La criminalisation des occupants sans titre dont les squatters, ou leur expulsion pendant l’hiver ont tout de même été abandonnées, comme quelques dispositions purement rétrogrades réclamées par les conservateurs, soutiens zélés des bailleurs privés et de la rente locative.

Le conseil constitutionnel a aussi censuré certains articles, parmi lesquels quelques mesures anti pauvres.               

Pour autant la loi ELAN menace de modifier en profondeur les rapports locatifs au détriment des locataires en général et surtout des plus modestes d’entre eux.

Sous un vernis « moderniste », cette loi est bel et bien une révolution conservatrice, dont l’objet est de renforcer la financiarisation du logement, qu’il soit locatif social, locatif privé, ou en accession à la propriété.

Dans cette note d’analyse nous traitons du locatif privé, et particulièrement de sa mesure phare défendue dans le programme électoral de Macron : le bail mobilité,

Bien qu’il constitue l’élément clef de cette contre réforme, ses implications réelles ont été trop peu évaluées.

Il s’agit là d’envisager sommairement les effets de ce nouveau contrat locatif, sur les locataires, sur les bailleurs, ainsi que les risques de propagation rapides, notamment en zone tendue, là où justement la crise est déjà la plus sévère et ou sévit une insuffisance chronique de logement accessibles.            

 

1 – Les règles du bail mobilité :

Il s’agit d’un contrat locatif meublé de 1 à 10 mois, non renouvelable, alors qu’existe le bail meublé d’un an renouvelable. Il ne pourra en théorie être mis en place que pour les personnes en « mobilité professionnelle », aux étudiants, aux apprentis, et ne doit donner lieu à aucune caution ni garantie financière préalable. La garantie institutionnelle VISALE pourra être sollicitée par les candidats locataires, pour compenser la suppression de la garantie et de la caution, si le bailleur l’exige. En effet, la garantie VISALE n’est pas obligatoire.

Le locataire peut rompre le contrat avec un préavis d’un mois.

Le candidat devra attester de sa situation de mobilité professionnelle. Le bail mobilité est ouvert aux étudiants, alors que ceux ci disposent déjà du bail de 9 mois, avec préavis d’un mois. Il s’agit bien de « flexibiliser «  les locataires.

Ce dispositif pourrait ouvrir une brèche béante dans le droit à un logement stable et permet aux bailleurs d’augmenter de manière très consistante leurs revenus locatifs dans les zones tendues et/ou touristiques, particulièrement dans les communes qui ont plafonné à 4 mois par an maximum la durée des baux touristiques (Paris, Lyon, Lille, Bordeaux)

Un bailleur pourra donc alterner le bail mobilité à des étudiants et la location touristique pendant les vacances scolaires …

 

2 – Aucun contrôle sur la mobilité professionnelle, le loyer, la décence … :

En dehors d’Action Logement, organisme du 1% logement, en charge d’octroyer à ceux qui le demandent la garantie VISALE sur les éventuels impayés, qui va vérifier que les termes de la loi sont bien respectés ? Que le locataire est bien en « mobilité professionnelle », que le logement n’est pas reloué au même locataire ?… Personne lorsque la location est effectuée sans garantie VISALE, et vraisemblablement de très loin lorsque celle-ci sera demandée.

D’ailleurs, le terme de « mobilité professionnelle » n’a aucune résonance juridique. Toute personne, ou famille dont l’un des membres est à la recherche d’un emploi, est bénéficiaire d’un minima social, est en stage ou en formation professionnelle répond à cette définition. Le concept particulièrement flou peut s’étendre aux personnes titulaires d’un emploi précaire dans le tourisme, la culture, le ménage et autres branches professionnelles gourmandes en CDDU, CDDI, temps partiel ou autre emploi précaire.

Qui pourra empêcher la mise en location de logements indécents, indigne, ou de logements mal meublés, vers qui le locataire pourra-t-il se tourner sachant qu’il faut plusieurs mois pour obtenir un rapport de visite des services municipaux, voire un arrêté, ou une décision de justice ?

Même l’interdiction de demander une caution peut être contournée, en demandant au candidat locataire de déposer une garantie, ou pourquoi pas la totalité du loyer dû pendant la période dans un paradis fiscal, comme on l’a vu pour des locations touristiques (exemple Airbnb à Gibraltar) … ?

 

3 – Bail mobilité, locations touristiques et plate-formes numériques : le mariage toxique :

Le bail mobilité constitue une aubaine pour les bailleurs privés car elle va leur permettre de sortir du cadre du bail meublé d’un an renouvelable automatiquement, afin d’alterner avec les locations touristiques en saison haute, et en bail mobilité en saison basse. Le bail mobilité permet ainsi aux bailleurs de tirer un revenu les 8 mois non autorisés à la location touristique, en dehors des périodes de vacances, à Paris, Bordeaux, Grenoble et autres villes tendues.

Le bail mobilité risque donc de s’imposer rapidement dans les zones tendues et/ou touristiques, telles que le centre de l’Ile-de-France, la côte méditerranéenne ou atlantique… déjà soumises à un renchérissement des loyers bien plus rapide que l’inflation.

Paris, désormais classée 3e ville la plus chère du monde, sera sans doute la plus rapidement et la plus durement impactée, car la hausse des prix a entraîné une baisse de la rentabilité locative.

En effet, des plates-formes internet et autres sociétés de services devraient voir le jour pour faciliter la mise en relation entre locataires en précarité et bailleurs à la recherche de profits supplémentaires.

Le scénario des plates formes internet est déjà bien rodé : pendant plusieurs années et en toute liberté elles mettent en œuvre des pratiques sauvages avant d’être régulées.

Les promoteurs du bail mobilité ont certainement anticipé l’ensemble des étapes à venir et les risques qu’il présente.

 

4 – Le bail mobilité permet de doubler les revenus locatifs:

Un calcul sommaire permet de mesurer le gain que représente le bail mobilité couplé avec la location saisonnière.

Un studio de 15 m2 à Paris via Airbnb se loue 55€ la nuit, soit 1650€ par mois. Sur 4 mois le revenu brut se monte à 6600€. (Le bailleur ne peut louer plus de 4 mois en location touristique, sauf s’il demande un changement d’affectation, procédure lourde, et s’il affecte un autre local à l’habitation)

Le même studio encadré se louerait environ 30€ le m2 mensuel, soit 450€ par mois, ou 3600 € sur 8 mois et 5400€ sur 12 mois.

Le revenu tiré de la location touristique sur 4 mois se monte à 6600€. Celui tiré du bail mobilité sur les 8 mois restant se monte à 3600€.

Le revenu brut annuel tiré du bail mobilité alterné avec la location touristique se monte donc à 10400€ (866€ par mois) alors que le revenu brut d’une location normale (déjà hors de prix pour un locataires modeste) se monte à 5400€ sur 12 mois (450€ par mois).

 

5 – Le bail mobilité est inflationniste :

Comme si la cherté du logement actuelle ne suffisait pas, alors que le logement constitue le principal poste de dépense et que sa hausse entraîne des fins de mois de plus en plus difficiles pour les français, les rotations rapides de locataires grâce au bail mobilité vont favoriser une nouvelle flambée des loyers.

Les bailleurs privés sont soumis jusqu’alors au bail meublé d’un an renouvelable par tacite reconduction, dont le loyer ne peut être augmenté brutalement, (hors l’IRL, indice de réévaluation des loyers), sauf après des travaux conséquents et une procédure assez lourde. La hausse des loyers en cours de location est peu fréquente.

D’autre part, la hausse du loyer au changement de locataire, principale cause de la hausse générale des loyers ces 30 dernières années, est théoriquement interdite depuis 2012 par un décret reconduit chaque année. Pourtant les loyers ont continué de progresser, on l’a vu par exemple après l’annulation de l’encadrement à Paris et à Lille.

En effet, si le bailleur doit indiquer le montant du loyer précédent sur le nouveaux bail, le nouveau locataire n’a aucun moyen de vérifier les dires du bailleur … Ceci explique cela : très nombreux sont les bailleurs qui grugent honteusement leur locataire !

Donc, dans les villes où l’encadrement des loyers sera mis en place et même si le décret annuel qui gèle les loyers à la relocation est reconduit, l’attelage bail mobilité/location touristique va entraîner inéluctablement une hausse des loyers, qui agira sur le calcul général du loyer médian, base actuelle de l’encadrement des loyers.

Autrement dit, l’encadrement des loyers ville par ville prévu dans la loi ELAN sera battu en brèche par le bail mobilité.

De plus, le décret gèle le loyer à la relocation entre deux baux loi de 89, mais il ne le gèle pas à l’issue d’une location touristique, dont le loyer est de surcroît bien plus élevé.

On peut dès lors considérer qu’il s’agit d’une mise en location nouvelle et donc une location libérée de tout encadrement et de toute contrainte.

Sauf à vouloir une nouvelle dégradation de vie des classes populaires, il faut :

– renforcer le contrôle sur le montant du loyer exigé par un bailleur à chaque relocation, ce que la loi ne prévoit pas.

– découpler l’attelage toxique bail mobilité/location touristique.

 

6 – Dégradation des conditions de vie des locataires les moins riches :

Après la baisse des APL, les multiples économies sur le logement social et les services publics, sur la protection sociale et sur les droits des salariés, et les hausses sur les taxes, annoncées, votées ou en vigueur, le bail mobilité annonce une dégradation rapide des conditions de vie des salariés précaires et/ou pauvres, des chômeurs, des saisonniers, des étudiants, des handicapés…

Il prépare une « génération valise », contrainte de déménager et d’attendre le départ des touristes pour se reloger en se pliant aux conditions locatives imposées à chaque nouvelle location. C’est le bailleur, non plus le locataire, qui choisira la date de fin de contrat, et les conditions de location. Il s’agit donc d’une atteinte au droit à un logement stable, acquis peu ou prou depuis la Première Guerre Mondiale en 1918.

La location par des marchands de sommeil de logements indécents, ou indignes, ou dangereux pour la santé ou la sécurité physique des locataires devrait connaître un véritable succès, puisque le locataire n’aura pas le temps de saisir les services de contrôle et encore moins de connaître l’issue de ses démarches !

Les saisonniers du tourisme de masse, déjà durement impactés par le développement des meublés touristiques, pourront certes se loger, mais uniquement hors saison. Se loger et être chômeur ou bosser et vivre sous la tente ou dans sa voiture … c’est l’alternative que dessine le bail mobilité pour les travailleurs saisonniers.

Les salariés modestes ou pauvres travaillant au centre de la métropole, subiront aussi l’impact des saisons touristiques, et devront se loger de plus en plus loin du centre.

 

Le bail mobilité détruit d’autres droits sociaux et civiques :

Le bail mobilité va accroître le nombre de sans abris en haute saison, et accentuer les formes actuelles de nomadisation forcée imposée aux sans logis hébergés de manière temporaire. Ceci est sans compter le coût financier et humain de cette mesure.

Du domicile stable découle l’accès à des droits et à une organisation sociale fondée sur la sédentarisation.

L’accès aux prestations sociales sera donc rendu plus périlleux, tout comme l’obtention d’une carte d’électeur, la scolarisation des enfants, l’accès à des soins réguliers et un lieu pour se soigner … 

Un processus puissant de marginalisation des ménages les moins bien lotis se met en place. Le bail mobilité en constitue l’une des prémices.

 

7 – En conclusion :

Le bail mobilité est fondamentalement inflationniste et vise à accroître une rentabilité locative très affaiblie par l’emballement des prix immobilier et fonciers en zone tendue.

Il répond aux doléances des bailleurs les plus agressifs, dont les investisseurs, les sociétés et groupes financiers internationaux, les rentiers du logement… Il s’inscrit dans le projet économique et social macroniste

Il s’emboite parfaitement avec le Grand Paris, dont le projet général est d’en faire une métropole soumise au tourisme de masse et au tourisme de luxe dans l’hyper centre, ainsi qu’aux JO 2024 booster du grand Paris.

Il renforce les inégalités de patrimoine dans un pays qui compte déjà 2,4 millions de millionnaires.

Il constituera pour les légions de saisonniers, de précaires et de chômeurs l’antichambre de la rue, car le bail mobilité, c’est bientôt la rue !

Il neutralise la lutte contre les marchands de sommeil et précarise durement les locataires.

Il n’instaure aucun contrôle sur les abus des bailleurs.

 

Propositions du DAL :

Concernant le bail mobilité :

– Abroger le bail mobilité, et à défaut :

– Interdire le couplage location touristique/bail mobilité

– Instaurer un répertoire des logements mis en location, pour vérifier le bon respect des normes de décence, du gel et de l’encadrement des loyers pour l’ensemble du parc locatif privé

– Encadrer les locations touristiques au même titre que les locations traditionnelles, et les interdire purement et simplement dans les zones tendues.

 

De manière plus générale et dans le secteur locatif privé DAL demande :

– l’interdiction des cautions solidaires

– l’interdiction des congés vente, outil de la spéculation

– le renforcement du droit au maintien dans les lieux

– un encadrement des loyers à la baisse dans toutes les zones tendues

– l’accélération des procédures d’insalubrité et de péril, et le relogement des occupants

 


 

COMMUNIQUE
 
Paris le 20 novembre 2018

 

Le Conseil Constitutionnel valide la loi ELAN

 

La Loi ELAN a été validée par le CC et doit être promulguée sous peu. Elle annonce une catastrophe pour les locataires et les mal logés dans les centres urbain. La Loi ELAN est un agglomérat de mesures dont l’objectif est de permettre aux « 1ers de cordée » de faire de l’argent et dont les conséquences seront désastreuses pour les habitants. Cette loi va nourrir le logement cher, aggraver la crise du logement, renforcer la spéculation et accroître l’exploitation des mal-logés, des locataires et des accédants.

Les mesures les plus graves de la loi ELAN :
–    Le bail mobilité de 1 à 10 mois non reconduit précarise durement les locataires. Il crée une aubaine pour les  bailleurs privés qui vont ainsi doubler leurs profits en alternant avec la location touristique (plafonnée à 4 mois par an). Les requins des plates formes numériques sont sans doute déjà au travail pour organiser la mise en relation entre les candidats à la location aux abois et les bailleurs dans les zones tendues… sans compter le jackpot à chaque relocation, l’encadrement ayant été marginalisé ;
–    La contrôle tous les 3 ans des locataires HLM, pouvant entraîner leur expulsion : c’est un nouveau pas vers  la précarisation des locataires en HLM et la remise en cause du droit à un logement stable ;  
–    La vente massive de logements sociaux, ouverte aux marchands de sommeil, aux spéculateurs, et à des sociétés privées s’agissant des PLS (HLM pour classes moyennes). Sans compter la rapt de la trésorerie des HLM par l’Etat (-1,5 milliards par an), et la baisse des APL (-3,2 milliards par an) …
–    L’accélération des expulsions des ménages les moins riches en difficulté, c’est-à-dire ceux qui ne pourront reprendre le paiement des loyers ;
–    La suppression de l’obligation de construire 100% des logements accessibles aux handicapés ;
–    L’expulsion et la destruction en 1 mois, sans jugement et sur décision du Préfet des maisons édifiées dans des quartiers informel (défaut de permis de construire et de viabilisation) ;
–    La suppression de l’instance de régulation et de sanction des professions immobilières ;
–    L’éviction des architectes de nombreux secteurs de la construction annonçant une nouvelle dégradation de la qualité des logements produits (vers l’obsolescence programmée) ;
–    Le bétonnage du littoral …

Il faudra continuer le combat pour le retrait de cette loi rétrograde !

Des articles invalidés par le Conseil constitutionnel (cavaliers législatifs).  Exit :  
– La révision du décret charges tous les 5 ans

– L’expulsion automatique des locataires et leurs enfants condamnés pour trafic ou détention de drogue dans l’immeuble ou l’ensemble immobilier du bailleur (la jurisprudence actuelle permet l’expulsion lorsque le trafic produit une nuisance pour les locataires)
– L’interdiction pendant 3 ans de pénétrer dans les parties communes d’un immeuble suite à condamnation pour occupation desdites parties communes (double peine)
– La possibilité pour les huissiers de pénétrer dans les immeubles comme les facteurs
– L’accès permanent des polices nationales et municipales aux parties communes des HLM (actuellement l’accès doit être renouvelé tout les ans).

Hormis la possibilité pour les services de l’hygiène et de péril de pénétrer dans les parties communes, le DAL ne regrette pas ces censures.

Nous avons aussi réussi à faire reculer le projet de  criminalisation des squatters porté par les conservateurs au Sénat et à maintenir la trêve hivernale en l’état.

 

Un toit c’est un droit !